Anima by Wajdi Mouawad

Anima by Wajdi Mouawad

Auteur:Wajdi Mouawad [Mouawad, Wajdi]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Leméac / Actes Sud
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


EQUUS CABALLUS

− I −

Tout succombe à l’hallali des espoirs, tout succombe, tout noire. Tout noire comme on dit tout tombe ou tout meurt. Tout noire ici au sarcophage des chevaux. La porte s’est ouverte et une vague de lumière est venue inonder l’intérieur du convoi, tranchant et retranchant les ombres de mes congénères amassés au-devant, silhouettes calcinées par ce brutal contre-jour. Nous nous sommes mis à hennir et à nous agiter sans parvenir pour autant à nous débarrasser de nos liens. Dans la panique de voir la porte se refermer, nous nous sommes mis à piaffer et, ensemble, de concert, à cogner de toute la force de nos jambes postérieures contre les barrières qui nous entravent et nous empêchent de fuir. Sortir ! Sortir ! L’air ! L’espace ! Le ciel et la pluie ! Loin des cadavres des nôtres, morts en chemin, bringuebalés au sol de la carlingue et dans le ventre desquels nos sabots s’enfoncent à chaque déhanchement de ce véhicule qui nous transporte. Où sont les courses folles ? Où sont les courses folles contre la lumière ? Soleils ! Soleils !! Creuset des larmes d’or ! Dans les plaies, les plaines où la nuit brille encore aux chants des oiseaux oubliés à tous les cœurs dehors !! Soleils !! Défaites nos liens de sang ! Mais dehors il y a les humains que nous haïssons, et celui qui hurle toujours, le voici qui hurle encore ! Que clame-t-il ? Nous n’entendons plus rien, les mots des humains depuis trop longtemps nous échappent. Plus de bouche pour crier, ni de gorge pour avaler la salive des peines et des chagrins. Ces humains-là, nous les avons pourtant portés sur notre dos et nous avons tiré leurs charrues aux durs labeurs des labours, sans nous plaindre jamais, tournant et retournant la terre rouge et noire de leurs champs. Quelle faute avons-nous commise pour être ainsi punis, ainsi étouffés, sans pitié, sans même un regard et avec une pareille bestialité ? L’homme hurle encore ! Il exige le calme, il exige l’obéissance. Il lève son bâton et frappe nos corps épuisés, Back up ! Back up !… mais il y a si peu d’espace pour bouger ! Il frappe ! Il frappe ! Les flammèches fusent au bout de son bâton contre les croupes, les encolures, les poitrails ! La douleur nous force à reculer, nous nous démenons, certains tentent de sauter par-dessus les ensellures des autres, des dos craquent, des membres sont broyés et ceux qui sont coincés en arrière se voient écrasés contre la paroi métallique par ceux qui sont en avant.

— Je ne monte pas là-dedans !

— What did he say ?

— He doesn’t want to go inside !

— You have no choice !

Ils hurlent entre eux, ils se battent, puis ils pénètrent à l’intérieur. Deux hommes en poussent un troisième. Ils se faufilent au milieu de nos hennissements dans la lumière avalée. Le jour fond. L’orage éclate. Par la porte, je vois chuter les étoiles de la nuit, défaites de leurs ciels sous les coups de tonnerre.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.